Les noms de domaine Blockchain : des identifiants décentralisés

Les noms de domaine Blockchain : des identifiants décentralisés

Tour d’horizon

Depuis les années 90, le Web a connu un développement incroyable et compte aujourd’hui près de 5 milliards d’utilisateurs. Il repose sur de nombreux protocoles en constante évolution, maintenus par des entreprises spécialisées. Le numérique s’est invité dans notre vie quotidienne et continue sans cesse d’apporter de nouveaux services. Les entreprises et particuliers construisent leur identité numérique à travers des réseaux sociaux, des sites Web ou encore des noms de domaine.

Depuis quelques années, nous voyons apparaître de nouvelles technologies prônant un Web plus décentralisé, le Web3, sur lequel les utilisateurs auraient plus de pouvoir sur leurs données et leur vie privée. De nouvelles formes d’actifs numériques se développent, notamment des noms de domaine d’un nouveau genre.

Noms de domaine Blockchain, NFT ou Web3 ; cet article a pour objectif de faire un tour d’horizon de ces nouveaux types de noms de domaines, de leurs origines à leurs utilisations actuelles, afin de comprendre les enjeux qu’ils représentent. La version PDF est disponible sur ce lien.

  1. Les concepts et technologies
    1. 1.1. Une volonté de décentralisation
    2. 1.2. Bitcoin : une monnaie décentralisée
    3. 1.3. Le concept de Blockchain
    4. 1.4. Ethereum : une plateforme d’applications décentralisées
    5. 1.5. De nouveaux actifs numériques
  2. Les noms de domaine Blockchain
    1. 2.1. Principe
    2. 2.2. Namecoin
    3. 2.3. Ethereum Name Service
    4. 2.4. Unstoppable domains
    5. 2.5. Handshake
    6. 2.6. Une multitude de projets
  3. Les cas d’usage
    1. 3.1. Enregistrement
    2. 3.2. Association avec des adresses de portefeuilles
    3. 3.3. Association avec un site Web décentralisé
    4. 3.4. Association avec des adresses de smart contracts
    5. 3.5. Envoi de mails
    6. 3.6. Association avec des éléments liés à l’identité
    7. 3.7. Utilisation comme un identifiant utilisateur
  4. L’adoption aujourd’hui
    1. 4.1. Chiffres clés
    2. 4.2. Spéculation et cybersquatting
    3. 4.3. Position des acteurs traditionnels
  5. Quels enjeux ?
    1. 5.1. Identité dans de nouveaux espaces numériques
    2. 5.2. Impact sur le droit des marques
    3. 5.3. Développement du Web3

1. Les concepts et technologies

1.1. Une volonté de décentralisation

Depuis la naissance de l’informatique, des experts alertent sur l’exploitation des données personnelles par des systèmes numériques. Des groupes d’informaticiens et de chercheurs ont travaillé sur de nombreuses solutions techniques pour renforcer la sécurité informatique, notamment en utilisant la cryptographie.

Des mouvements plus ou moins impliqués autour de ces enjeux naissent. En 1988, le Manifeste Crypto-Anarchiste de Tim May met en avant les possibilités offertes par la cryptographie, notamment pour réaliser des échanges sécurisés entre individus. Dans la continuité, le Manifeste d’un cypherpunk d’Eric Hughes, en 1993, revendique un droit à la vie privée et appelle au développement de systèmes anonymes.

“Nous, les Cypherpunks, sommes voués à l’édification de systèmes anonymes. Nous défendons notre droit à la vie privée avec la cryptographie, des systèmes de messagerie anonyme, des signatures numériques et de l’argent électronique.”

1.2. Bitcoin : une monnaie décentralisée

C’est au sein du mouvement Cypherpunk qu’en 2008, le livre blanc de Bitcoin est dévoilé. Publié par un prénommé Satoshi Nakamoto, le livre blanc décrit un système de cash électronique décentralisé. L’idée est de construire un réseau de paiement en pair à pair, incensurable et anonyme. Les concepts techniques s’appuient sur plusieurs travaux déjà existants et y sont présentés de manière succincte.

A purely peer-to-peer version of electronic cash would allow online payments to be sent directly from one party to another without going through a financial institution.

Dans les mois qui ont suivi, plusieurs développeurs ont contribué au projet open source afin de sortir une première version en 2009. C’est la naissance de la première cryptomonnaie. Depuis, Bitcoin s’est fait connaître dans le monde et continue aujourd’hui d’être utilisé et développé. Il permet de réaliser des transactions en bitcoin sur Internet, sans nécessiter d’intermédiaires et sans limites politiques ou géographiques.

1.3. Le concept de Blockchain

Bitcoin implémente le concept de Blockchain. Une Blockchain peut être définie comme un registre distribué sur un ensemble de serveurs (ou noeuds), formant un réseau. Ce registre contient toutes les transactions regroupées par blocs, constituant ainsi une chaîne de blocs depuis la première transaction effectuée. De fait, l’ensemble de l’historique des transactions est disponible et vérifiable.

La sécurité et l’immuabilité d’une Blockchain dépendent essentiellement de son protocole de consensus, qui définit les règles de validation des blocs de transactions par les nœuds. Il en existe plusieurs, comme la preuve de travail ou la preuve d’enjeu. Chaque Blockchain fonctionne également avec sa propre cryptomonnaie et ses propres règles.

Au fur et à mesure du développement de Bitcoin, d’autres projets s’appuyant sur des concepts techniques similaires ont vu le jour. Leur objectif est de proposer des solutions décentralisées pour réaliser de l’échange de valeur sans tiers de confiance, afin de répondre à diverses problématiques.

1.4. Ethereum : une plateforme d’applications décentralisées

En 2014, le livre blanc d’Ethereum est publié par Vitalik Buterin. Le projet est présenté comme une plateforme d’applications décentralisées. La proposition de valeur est de construire un système permettant la programmation et l’exécution de Smart Contract ; des programmes informatiques s’exécutant automatiquement sur le réseau, sans nécessiter l’intervention d’un tiers. Le lancement d’Ethereum fut un succès.

L’écosystème autour d’Ethereum est riche, avec d’importantes entreprises œuvrant à son développement. Le réseau connaît aujourd’hui plusieurs limites en termes de scalabilité, ce qui rend les frais de transactions très élevés lorsqu’il est saturé. Pour améliorer cela, plusieurs mises à jour sont prévues et des solutions Layer 2 se développent.

En dehors d’Ethereum, il existe des dizaines de Blockchain, plus ou moins concurrentes (BNB, Cardano, Solana, Polkadot, Avalanche, Cosmos, etc.). Vous l’aurez compris, cela représente un large panel de projets et d’applications.

1.5. De nouveaux actifs numériques

En 2016, les premières applications décentralisées (ou dApps) concrètes voient le jour. Les Smart Contracts permettent entre autres de représenter des tokens. Ce sont, comme leur nom l’indique, des jetons numériques pouvant être échangés entre les utilisateurs. Ils peuvent servir comme monnaie d’échange, comme droit d’utilisation d’un service ou encore comme droit de vote au sein d’un projet. De nombreux projets ont alors réalisé des ICO (Initial Coin Offering), c’est-à-dire des levées de fonds en échange de tokens. En 2017, le marché des cryptomonnaies connaît un essor fulgurant avec des records de capitalisation, suivis quelques semaines plus tard d’un krach. L’écosystème des Blockchain et des cryptomonnaies fait parler de lui dans le monde.

Plusieurs types de tokens ont été développés et standardisés, dont les NFT (Non Fongible Tokens). Un NFT est un jeton unique pointant vers une ressource virtuelle ou réelle. Cette ressource peut être une image, une oeuvre d’art, un item de jeu vidéo ou encore un nom de domaine. Un NFT peut être assimilé à un certificat de propriété, attestant que son propriétaire possède la ressource cible. Toutefois, la confiance dans les informations qu’il atteste dépend essentiellement de son émetteur.

Les tokens font partie d’un marché de niche, avec aujourd’hui des cas d’usages dans la finance (Stablecoin, DeFi), l’immobilier, l’art ou encore les jeux vidéo. Cette technologie permet de représenter et d’échanger de la valeur sur Internet, de manière transparente et décentralisée, ce qui n’était pas possible précédemment. Les utilisateurs peuvent désormais posséder et gérer de nouveaux types d’actifs numériques, directement à partir de leur portefeuille numérique (wallet). Le concept du Web3 représente l’ensemble de ces applications.

Web1 is read-only, Web2 is read-write, Web3 is read-write-own.

2. Les noms de domaine Blockchain

2.1. Principe

Le DNS, système de noms de domaine, est un service au cœur du fonctionnement d’Internet. Il fonctionne comme un annuaire public qui associe des noms de domaine à des ressources sur Internet, comme des sites Web, des serveurs mails et bien d’autres encore. Il est notamment régulé par l’ICANN, et maintenu par de nombreux acteurs internationaux.

Depuis quelques années, plusieurs projets développent leur propre système de nommage sur Blockchain, avec de nouveaux types de noms de domaine. Contrairement aux noms de domaine traditionnels, ils ne fonctionnent pas avec le DNS et ne sont pas régulés. Leur objectif est de proposer des solutions de nommage décentralisées et indépendantes, pour des usages spécifiques.

Sur une Blockchain, les comptes des utilisateurs sont identifiés par des adresses cryptographiques difficilement lisibles, comme par exemple 0x2611135d64926F8266d88Ac5B6D05BE543bF8990. Les noms de domaine sur Blockchain permettent, en premier lieu, d’associer des adresses à des noms pour faciliter leurs utilisations. Ils permettent également d’associer d’autres types d’information, pour diverses fonctionnalités que nous verrons par la suite.

Du fait qu’ils ne fonctionnent pas avec le DNS, il est nécessaire d’utiliser des applications ou logiciels compatibles avec ces types de noms de domaine (Navigateurs web, extensions, etc.). De plus, seul le titulaire du nom à la possibilité de le contrôler ; aucun tiers ne peut le lui retirer le contrôle.

2.2. Namecoin

(.bit)

Namecoin, né en 2011, fut le premier système de noms de domaine développé sur une Blockchain, avec l’extension .bit. Il est basé sur le code de Bitcoin, et utilise sa propre chaîne et cryptomonnaie. Namecoin est présenté comme une technologie expérimentale qui améliore la décentralisation, la sécurité, la résistance à la censure et protège la vie privée.

Les domaines .bit n’ont pas connu un grand succès, mais restent utilisés au sein de l’écosystème Bitcoin.

2.3. Ethereum Name Service

(.eth)

Ethereum Name Service (ENS) est aujourd’hui le système de nommage sur Blockchain le plus populaire. Il est développé sur la Blockchain Ethereum à l’aide de smart contracts. La gouvernance du système s’organise de manière communautaire, sous forme de DAO avec son token $ENS, et est composée de milliers de membres.

ENS propose l’enregistrement de noms de domaine .eth, représenté sous forme de tokens non fongibles (NFT). Il est également possible de lier des noms de domaine traditionnel sur ENS, afin d’exploiter les mêmes fonctionnalités qu’un nom .eth avec un nom classique. ENS se définit donc comme un système complémentaire au DNS, et non pas comme une alternative.

Le prix d’enregistrement d’un nom .eth dépend de la durée d’enregistrement, de la longueur du nom, du prix de l’ETH et du gas (frais de transaction) ; le prix de base se situe entre 5 et 10$ par an. On compte aujourd’hui plus de 2,6 millions de noms enregistrés, plus de 500 000 titulaires uniques et plus de 500 applications compatibles. Plusieurs entreprises contribuent au développement de son écosystème, comme Consensys, Coinbase ou encore Cloudflare.

2.4. Unstoppable domains

(.crypto .nft .x .wallet .bitcoin .dao .888 .zil .Blockchain)

Unstoppable Domains propose un système de nommage sur la Blockchain Polygon. L’entreprise basée à San Francisco est financée par plusieurs fonds d’investissement et est valorisée à plus d’un milliard de dollars. C’est le deuxième acteur le plus populaire, avec neuf extensions disponibles. Comme sur ENS, les noms sont représentés sous forme de NFT.

L’enregistrement d’un nom coûte entre 10 et 100$ en fonction de l’extension, et est valable à vie. Plus de 1,6 millions de noms sont enregistrés, par plus de 350 000 titulaires uniques. On compte un peu plus de 425 applications compatibles, et de plus en plus d’entreprises de l’écosystème crypto nouent des partenariats.

2.5. Handshake

(extensions de premier niveau)

Handshake est un système de nommage fonctionnant avec sa propre Blockchain et cryptomonnaie $HNS, qui propose des extensions de premier niveau. L’entreprise, basée aux États-Unis, a récemment été rachetée par le bureau d’enregistrement Namecheap. L’entreprise a également développé un résolveur DNS pour ses noms, et certains opérateurs comme NextDNS le propose à ses clients.

Namebase est la place de marché principale qui permet l’enregistrement et l’échange de noms. Les titulaires d’une extension de premier niveau peuvent créer et revendre des noms de domaine de cette même extension. L’enregistrement d’une extension de premier niveau fonctionne avec un système d’enchère, et il n’y a pas de période d’expiration. Le nombre de noms Handshake enregistrés (1er et 2nd niveau) s’élève à plus de 7 millions. s

2.6. Une multitude de projets

Nous avons passé en revue les acteurs principaux et les systèmes les plus utilisés à ce jour, mais il existe des dizaines de projets de systèmes de nommage sur Blockchain. Cela reste difficile de s’y retrouver dans cet écosystème et d’identifier les projets sérieux, tout en sachant que la plupart sont en cours de développement.

Ces systèmes posent aussi des problèmes de collisions. Une collision se produit lorsque plusieurs systèmes utilisent les mêmes noms, avec la même extension. Unstoppable Domains est notamment en procès avec Handshake pour le .wallet, et a récemment arrêté la commercialisation du .coin qui était déjà proposé par Emercoin.

3. Les cas d’usage

3.1. Enregistrement

Pour procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine Blockchain, les procédures varient en fonction du système de nommage utilisé. De manière générale, il faut créer un wallet, qui va permettre de réaliser des transactions et détenir des tokens.

Lors de la création d’un wallet, des clés cryptographiques sont générées :

  • Une clé privée : permet de contrôler le portefeuille et ses actifs. Elle ne doit pas être dévoilée.
  • Une clé publique : représente l’adresse publique du portefeuille.

La clé privée doit absolument rester secrète et protégée. Si elle est perdue, l’accès au portefeuille et à tous les actifs qu’il contient, dont les noms de domaine, sera définitivement perdu. La meilleure solution étant d’utiliser des hardware wallets, comme Ledger ou Trezor.

Pour réaliser des transactions avec ce wallet, il faut l’alimenter en cryptomonnaies. Pour cela, le plus simple est d’acheter la cryptomonnaie souhaitée sur une plateforme d’échange, puis de la transférer vers le wallet. Pour enregistrer un nom, il faut ensuite se connecter avec son wallet sur le site Web du service (ENS, Unstoppable Domains, etc.), puis réaliser la transaction. Le nom de domaine sera ensuite lié au wallet, et il sera possible de le configurer.

3.2. Association avec des adresses de portefeuilles

Il est possible d’associer des adresses de portefeuilles crypto à un nom de domaine. Cela permet de pouvoir envoyer des crypto-actifs à un utilisateur en utilisant son nom de domaine à la place d’une adresse cryptographique.

3.3. Association avec un site Web décentralisé

IPFS est une technologie de stockage décentralisée, sur laquelle il est possible d’héberger des sites Web ou d’autres types de données afin de les rendre “incensurables”. Il est possible de lier un site Web décentralisé à un nom de domaine Blockchain, notamment en y associant son identifiant IPFS. Des passerelles et certains navigateurs comme Brave ou Opera permettent d’accéder facilement à ce type de contenus.

Par exemple, le site CryptoMS est hébergé sur IPFS et lié au nom cryptoms.eth. Il est accessible à travers la passerelle Limo à cette adresse : https://cryptoms.eth.limo/

3.4. Association avec des adresses de smart contracts

Les applications décentralisées fonctionnent avec des smart contracts déployés sur une Blockchain. Ils sont également identifiés par des adresses cryptographiques, comme les comptes des utilisateurs. Associer l’adresse d’un smart contract à un nom de domaine facilite son accès et est une manière de l’authentifier.

Le service ChainLink est un Oracle mettant à disposition des données du monde physique sur Blockchain, à l’aide de smart contracts. Il propose par exemple un smart contract qui donne le prix de l’ETH en temps réel. L’adresse de ce smart contract est associer au nom de domaine eth-usd.data.eth. Les utilisateurs peuvent donc utiliser ces données en utilisant directement ce nom ; cela simplifie l’utilisation et garantie que les données viennent bien de ChainLink.

3.5. Envoi de mails

Certains services tiers, comme Ensmail et Skiff, proposent l’utilisation de noms de domaine Blockchain pour envoyer des mails. L’adresse mail utilisée est sous la forme [nom de domaine]@ensmail.org ou [nom de domaine]@ud.me.

3.6. Association avec des éléments liés à l’identité

Il est également possible d’associer des éléments d’identité à un nom, comme des URL, des adresses mails, des liens vers des réseaux sociaux, etc.

3.7. Utilisation comme un identifiant utilisateur

Les noms de domaine Blockchain peuvent être utilisés comme des identifiants décentralisés, et deviennent alors une solution technique à l’identité auto souveraine.

Des services comme Sign in with Ethereum ou Login with Unstoppable permettent aux utilisateurs de s’authentifier sur des sites Web avec leur wallet. Le nom de domaine associé à leur adresse de wallet devient alors leur identifiant. Autres examples, la plateforme Coinbase et le réseau social Lens Protocol proposent à leurs utilisateurs de lier des noms ENS à leur profil.

4. L’adoption aujourd’hui

4.1. Chiffres clés

Au moment de l’écriture de cet article, les noms de domaine Blockchain comptabilisent plusieurs millions d’enregistrements. Voici les chiffres pour les trois acteurs principaux.

Ethereum Name Service :

  • Plus de 2,6 millions de noms enregistrés
  • Plus de 500 applications compatibles
  • Capitalisation du token $ENS : + 300 millions de dollars

Unstoppable domains :

  • Plus de 1,6 million de noms enregistrés
  • Plus de 425 applications compatibles
  • Valorisation de l’entreprise : + 1 milliard de dollars

Handshake :

  • Plus de 7 millions de noms enregistrés (extensions de 1er et 2d niveau)
  • Valorisation de la cryptomonnaie $HNS : 20 millions de dollars

4.2. Spéculation et cybersquatting

Le marché des cryptomonnaies est réputé pour sa spéculation financière. Les noms de domaine Blockchain n’y échappent pas. Il existe plusieurs places de marché sur lesquelles sont échangés les noms, dont certains se vendent plusieurs centaines de milliers de dollars. Sur la plateforme OpenSea, les noms de domaine font partie des actifs les plus vendus.

Les cybersquatteurs n’hésitent pas à enregistrer des noms premium ou relatifs à des marques. Des services comme ENS Tools ou ENS Vision proposent même des outils pour identifier de potentiels noms à forte valeur. Contrairement aux noms de domaine traditionnels, les titulaires de marques n’ont pas de moyens pour récupérer ou bloquer des noms relatifs à leur marque. Certains systèmes de nommage mettent en place des solutions pour freiner ce squatting, mais cela reste anecdotique. La spéculation représente une grande part des noms enregistrés et contribue également au financement de l’écosystème.

4.3. Position des acteurs traditionnels

Les noms de domaine Blockchain font aujourd’hui partie d’un marché de niche, dont la plupart des applications et services développés sont liés à l’écosystème crypto. L’effet de réseau autour des cryptomonnaies et des NFT a propulsé le nombre d’enregistrements et a favorisé le développement de communautés. Les différents acteurs se financent à travers des modèles économiques variés ; levée de fonds, tokens, frais de transaction, etc. Une alliance a même été fondée pour soutenir le développement de ces nouveaux noms de domaine : Web3 Domain Alliance.

Mise à part les entreprises du secteur des crytomonnaies, d’autres acteurs plus traditionnels s’intéressent à ces technologies. C’est le cas de Cloudflare, qui participe activement au développement d’outils en lien avec les noms de domaine Blockchain, et le Web3 en général (Résolveurs, passerelles, etc.). Les navigateurs Web tels qu’Opéra ou Brave proposent nativement des fonctionnalités pour supporter l’usage des noms de domaine Blockchain, tandis que les réseaux sociaux Instagram et Twitter intègrent également des fonctionnalités relatives aux NFT.

Nous observons que plusieurs personnalités et grandes marques ont déjà enregistré leurs noms de domaines Blockchain (Puma, Louis Vuitton, Omega, Budweiser, etc.), par stratégie soit marketing, soit défensive. Les acteurs du secteur des noms de domaine et de la protection des marques suivent le sujet de près, pour anticiper les évolutions et impacts sur leurs métiers [»] [»] [»]. Du côté de l’ICANN et de l’APNIC, ces organisations alertent sur le risque de fragmentation et de collisions des systèmes de nommage.

5. Quels enjeux ?

5.1. Identité dans de nouveaux espaces numériques

Les noms de domaine Blockchain font figure d’identifiants décentralisés dans de nouveaux espaces sur Internet. Même s’ils reprennent la même forme que les noms de domaine traditionnels, ils sont bien différents sur plusieurs points.

Du côté technique, la technologie sous-jacente est différente. D’une part nous avons le DNS, réparti sur des milliers de serveurs autour du monde et maintenus par de nombreux opérateurs. Et d’autre part, nous avons des systèmes décentralisés, développés sur des Blockchain. Les performances en termes de résolution de noms ne sont pas comparables. Les serveurs DNS sont capables de répondre à des milliers de requêtes par seconde en quelques millisecondes. Pour les Blockchain, il faut interroger un nœud du réseau, via une API, ou utiliser un service tiers ; ce qui n’est pas aussi rapide et scalable.

Du côté des usages, les noms de domaine Blockchain répondent en premier lieu à un besoin spécifique, pour associer des adresses cryptographiques à des noms facilement lisibles. Les autres cas d’usage sont également différents de ceux des noms de domaine classiques, et sont aujourd’hui très liés à l’écosystème des cryptomonnaies. De ce fait, les systèmes de nommage sur Blockchain ne sont pas directement en concurrence avec le DNS.

5.2. Impact sur le droit des marques

Avec les noms de domaine traditionnels, il existe des procédures afin de permettre aux ayants droit de récupérer des noms portant atteinte à leur image (UDRP). Les systèmes de nommages sur Blockchain, de par leur nature décentralisée, ne proposent pas ce type de solution. Certaines places de marchés ont mis en place des solutions payantes afin de désindexer des contenus de leurs plateformes, mais cela n’a pas d’impact sur la titularité des actifs numériques. D’autre part, des acteurs comme Unstoppable domains ont choisi de bloquer la réservation de noms correspondant à des marques connues, afin de les réserver aux ayants droit.

Néanmoins, la loi doit être respectée, notamment le droit relatif à la propriété intellectuelle ; la contrefaçon et l’usurpation d’identité sont des faits répréhensibles juridiquement. La difficulté réside essentiellement dans la qualification de ces noms de domaine Blockchain et l’identification des parties prenantes. Dans le cas d’un cybersquatting d’une marque avec un nom de domaine Blockchain, plusieurs parties prenantes interviennent :

  • Le titulaire qui a enregistré délibérément le nom.
  • La plateforme ou système de nommage qui a permis cet enregistrement.
  • Les diverses places de marchés qui proposent la mise en vente de ce nom.

Bien que toutes les transactions sur Blockchain soient traçables et qu’une grande partie des plateformes vérifient l’identité de leurs clients (KYC), l’identification des parties peut vite devenir laborieuse et coûteuse en cas de dépôt de plainte. La négociation avec le titulaire et le rachat du nom sont des options envisageables, mais cela contribue à la spéculation.

Du côté juridique, les noms de domaine NFT entrent aujourd’hui dans le régime des actifs numériques. En France, la loi finance a introduit en 2019 un cadre légal autour des actifs numériques, notamment avec la création du statut PSAN pour les prestataires de services. En 2023, le règlement européen Mica devrait s‘appliquer à son tour.

5.3. Développement du Web3

Depuis plusieurs années, l’écosystème Blockchain se développe et se finance, avec l’arrivée sur le marché de nouveaux types d’actifs numériques et d’applications. Les noms de domaine Blockchain font partie du concept de Web3, prônant un Web plus décentralisé. Ils apportent des fonctionnalités intéressantes pour des cas d’usage spécifiques, mais sont aujourd’hui soumis à une spéculation excessive et de nombreux cybersquatteurs.

La proposition de valeur du Web3 est séduisante, cependant il faut rester prudent. La complexité technique de ces technologies fait apparaître de nouveaux intermédiaires. En effet, les interactions d’un utilisateur avec une Blockchain se font généralement à travers un fournisseur de services centralisé (passerelles), et donc censurables. Il faut donc porter une attention particulière sur le niveau de décentralisation réel des applications, au-delà des discours marketing.

Il est difficile de se projeter quant au développement des noms de domaine Blockchain dans les prochaines années. Cela dépendra sans doute de plusieurs facteurs relatifs à tout cet écosystème ; l’amélioration de l’expérience utilisateur, son adoption et sa régulation. Dans tous les cas, l’évolution de ces technologies sera passionnante à suivre.

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Steve Développeur & passionné par les technologies Blockchain