La Blockchain améliore-t-elle réellement la traçabilité ?
La Blockchain et les flux financiers
Vous le savez sûrement (ou le découvrez si vous ne le saviez pas) qu’avec la plupart des technologies Blockchain, vous avez la capacité de remonter l’historique complet de votre token, c’est-à-dire que vous êtes en mesure de connaitre tous les portefeuilles qui ont hébergé ce token. Cela fait partie de leurs propriétés techniques. Cela revient, dans le système classique, à connaitre les numéros de comptes en banque qui ont détenu l’euro qui est en votre possession.
Certains voient en cela une évolution dans la lutte contre le blanchiment, mais cette évolution nous semble cependant peu évidente. En effet, de la même manière que vous ne choisissez pas l’argent que vous transférez lors d’un virement, il n’est pas non plus possible dans le cadre d’un portefeuille de cryptomonnaies de choisir les tokens que vous envoyez. Les tokens dits « sales » sont ainsi mélangés avec des tokens « propres ». Une personne ne peut pas choisir de transférer des tokens « sales ». Pouvoir suivre les tokens depuis leurs origines n’a donc finalement que peu d’intérêts (sauf en cas de hack où, là, cette possibilité devient cruciale).
Tout comme nous le faisons aujourd’hui pour des FIATS, il faudra, pour reconnaitre un blanchiment, analyser les flux financiers des portefeuilles et non les flux des tokens, sinon vous pourriez passer à côté de transactions qui pourraient être suspectes. En soit, il n’y a rien de plus et rien de moins que le système déjà utilisé actuellement par les banques. L’AMF avait sûrement déjà fait cette analyse, car l’obligation de KYC (Know Your Customer) attribuée aux plateformes va dans ce sens. Le KYC est un processus qui permet de vérifier l’identité d’un utilisateur, en lui demandant par exemple sa copie de sa carte d’identité, une photo ou ou encore un justificatif de domicile.
La Blockchain se veut certes décentralisée, mais dans les faits une grande partie des détenteurs de cryptomonnaies et tokens réalisent leurs transactions en passant par des plateformes centralisées, de la même manière que nous le faisons avec la banque dans un système classique. L’AMF a donc mis en place un système de contrôle relativement similaire au système bancaire dans lesquelles nous retrouvons justement le KYC.
La traçabilité des produits
Nous allons présenter cette partie en fonction de la réalité actuelle et du futur proche, nous ne parlerons donc uniquement, ici, de la traçabilité dans une Blockchain privée. Pour cela, nous prendrons l’exemple de la traçabilité du cacao en Afrique subsaharienne et plus particulièrement en Côte d’Ivoire et au Ghana, deux pays frontaliers faisant partie des plus importants producteurs de cacao au monde.
Ces deux pays font face à une déforestation accrue et cela même au cœur de zones protégées, les chiffres parlent d’eux même : « entre novembre 2017 et septembre 2018, rien que pour la région cacaoyère du Sud-ouest, environ 13.748 hectares de forêt ont été détruits, soit l’équivalent de 15.000 terrains de football » (ONG Mighty Earth) Les grandes firmes industrielles se sont engagées en faveur de la lutte contre la déforestation, c’est pour cela elles ont mis en avant leurs capacités à tracer l’origine de leur cacao.
Cela s’est traduit par un système relativement proche de ce qui pourrait être réalisé avec une Blockchain. Le chocolat détenu est identifié grâce au code barre du sac afin de connaitre l’organisme qui nous l’envoie, mais également le producteur et le lieu de production qui est géolocalisé et enregistré au moment de la pesée. Le code du sac pourrait être associé à un token dans lequel serait enregistrés le poids du sac et sa géolocalisation.
La Blockchain permettrait d’enregistrer de manière immuable l’identité des différents acteurs et de la provenance des matières premières. Cependant, des faiblesses persistent dans ce système. De la même manière que les bitcoins se mélangent dans le portefeuille, le cacao se mélange au moment du séchage, tous les sacs étant vidés et entièrement mélangés pour sécher, les sacs pourtant distincts au départ se retrouvent dénués de contenu avant d’être à nouveau remplis par le cacao séché. La contenance première du sac n’est donc plus la même. Le problème ici énoncé pourrait facilement être résolu si l’on faisait sécher de manière distincte chacun des sacs.
Un second problème est également mis en lumière, celui de la confiance accordée aux acteurs dans une Blockchain privée. Dans notre exemple, c’est le fournisseur qui enregistre la pesée et finalement le lieu de la pesée, mais rien ne garantit que le lieu enregistré soit bien celui de la récolte. La récolte a donc pu avoir lieu dans une zone protégée et être pesée en zone non protégée. Vous vous retrouvez donc obligés de faire confiance à l’acteur qui entre directement les données dans la Blockchain.
Ce problème, tout comme le premier, peut être résolu soit en réalisant des audits des fournisseurs, soit par le client lui-même ou soit par un tiers de confiance. La technologie Blockchain ne garantie donc pas à elle seule que les données sont « vraies ».